Ca fait faire de drôle de choses, l'insomnie. Ca fait zoner sur HH et relire ses propres sujets.
Et ça m'a fait dire que, bordel de merde, ça n'allait pas.
J'ai relu ma disco commentée de Kreator. J'avais tenu à être le plus synthétique possible, principalement pour que les bleu-bites sachent de quoi il en retourne.
Et je me suis rendu compte que certains albums méritaient mieux qu'une description succinte,
Endorama en tête de gondole.
Dans sa disco de Type O Negative, Axel dit que certains albums arrivent à vous toucher à un tel point qu'ils semblent vous transformer, d'une certaine façon. Non seulement je suis über-d'accord, mais c'est exactement ce qui m'est arrivé avec
Endorama. Une véritable osmose entre mézigue et un disque.
On va resituer le contexte : En 99, je suis un jeune connard. Je me suis adonné au Metal avec déraison depuis 4-5 ans, je suis fan hardcore de Metallica et Megadeth, je passe tout mon temps libre à tenter de rejouer leurs morceaux sur ma gratte.
Et surtout, je suis mal dans mes pompes en nubuck. Vous savez ce que c'est, l'adolescence, hein...
"Personne me comprend, z'êtes tous des connards, et puis de toutes façons vous m'aimez pas, je le sais, vous serez bien content quand je serais plus là, hein ! Et pourquoi que la petite blonde de Première L2 elle veut pas de moi, d'abord ?". Ben voilà, mon adolescence, ça ressemblait à peu près à ça. Tout et tout le monde me faisait chier. J'avais aucun projet, envie de rien.
Je me rends compte aujourd'hui que j'étais finalement pas tant à plaindre que ça, mais j'étais vraiment pas bien. Et
Endorama est arrivé.
De Kreator, je connaissais
Coma Of Souls, et j'adorais. Du coup, quand j'ai vu l'album dans les bacs, je me suis dit
:"Yes, je vais pouvoir me défouler et headbanguer en maudissant tous ces cons qui me pourrissent la vie".
Et je me suis retrouvé face à quelque chose d'indescriptible. Ca m'a touché au coeur, m'a bouleversé. Jamais un disque n'avait autant correspondu à mon état d'esprit du moment. Rien que de taper ça, j'ai un frisson qui me parcourt de là à là (voir figure 1).
Et ça a également élargi mon horizon musical, qui en avait bien besoin. Ca a fait comprendre au jeune trou du cul que j'étais que le Metal se résumait pas au Heavy et au Thrash, aux riffs-mammouths, à la double-pédale, aux solos frénétiques et aux voix haut perchées. Ca m'a fait réaliser que le Metal, c'est aussi des titres simples, des riffs simples, des structures simples, sans solos, des tempos pas bien rapides, et que c'est pas chiant pour autant.
C'est également à partir de là que j'ai commençé à me pencher sur les textes des groupes, à les décortiquer et les traduire. Et ceux d'
Endorama... C'est clairement pas un album comme les autres.
Rien que la pochette : pas de monstres, de dessin sanguinolent, de diable ou de bataille, comme sur les autres albums du groupe. Non, un paysage.
Gris, triste, quasi-désert, où trône un arbre mort.
Petrozza ne balançe pas sur la politique ou l'écologie, non... Il nous parle de lui, se livre. Il a reconnu par la suite être en dépression lors de l'écriture de l'album, et il faudrait être sourd pour ne pas s'en rendre compte.
Tout l'album traite de la mort de façon plus ou moins directe. Ou plutôt de lassitude de la vie, ce ras-le-bol qu'on ressent tous à un moment ou à un autre, fatigués de se poser des questions auxquelles personne ne semble être en mesure de répondre.
Et le texte qui m'a le plus touché (et qui continue encore à me flinguer aujourd'hui) c'est
Everlasting Flame. Voyez plutôt :
The atmosphere around you is dark and cold
You're only 17 but in your heart you're feeling old
But one day you will leave this place of fear
Escape to somewhere far away far away from here
Voilà. Relisez ça en vous mettant dans la peau d'un mec de 17 ans mal dans ses pompes, et vous comprendrez.
Mais en fin de compte, j'en viens à me demander si l'album n'est pas à double-sens, à la fois dépressif et optimiste. La fameuse
Everlasting Flame, ne serait-ce pas la petite flamme de vie qui nous anime et qui fait que, même quand on pense être au fond du trou, une petite voix nous dit de nous accrocher et de nous battre ? Et le
Shadowland les mauvais souvenirs qu'on peut tenter d'oublier en faisant le ménage dans sa vie ?
Et si c'était ça, le message de Petrozza à travers ce disque ? "On a beau en chier comme un Turc, il y a toujours une lueur d'espoir et une porte de sortie, quitte à avoir à tout chambouler dans son existence".
On pourrait y voir une explication à la construction d'une partie des titres, qui alternent couplets très agressifs et refrains preques éthérés (
Shadowland, Willing Spirit, Chosen Few et
Golden Age).
C'est en tout cas ce que j'ai perçu. Et ca semble con à dire, mais ça me parlait. Ce mélange des sentiments les plus extrêmes, du désespoir et de l'optimisme me faisait du bien. Un album cathartique pour son auteur, assurément, mais aussi pour certains de ses auditeurs.
Au niveau strictement musical, j'ai pris une claque incroyable. C'est tout un pan du Metal (et de la musique au sens large) qui s'est ouvert à moi. J'ai compris que ça servait à rien de rester dans mon monde de
trve ivôle qui écoute que du Heavy-Thrash pour se la jouer burné devant tout le monde. Non. Je pouvais aimer autre chose.
J'étais touché par cette lenteur, cette noirceur constante, presque étouffante (les riffs écrasants de
Shadowland, Willing Spirit et
Golden Age), mais si belle en même temps, si mélodique. Car oui, c'est beau. Ecoutez donc l'interlude au piano
Entry, le refrain noyé sous les synthés d'
Everlasting Flame, ou celui, sussuré, de
Chosen Few... C'est pas beau ? Tous les refrains semblent avoir fait l'objet d'un gros boulot sur les mélodies et lignes de chant. Kreator n'avait encore jamais pondu de refrains aussi accrocheurs.
Et le chant de Mille ? Le bonhomme est littéralement habité. Il fait preuve d'une subtilité qu'on lui connaissait pas, et sa voix grave et profonde, son chant "parlé", fait des merveilles. Il se donne à fond, et ce ne sont pas ses capacités techniques limitées qui vont l'empêcher d'exprimer ses émotions (cf. le break "murmuré-hurlé" de
Tyranny).
Que ceux qui tiennent à leur dose d'agressivité se rassure : le groupe accélère le tempo sur 2 titres,
Pandaemonium et
Soul Eraser, qui pourraient plaire à certains nostalgiques du Kreator à l'ancienne. Mais ce sont les seuls.
Le tout est de ne pas se refuser à cette noirceur, de se laisser entraîner, de tolérer cette nouvelle orientation.
Rien à foutre de la quasi-absence de solos et de doule-pédale. Rien à foutre de l'abandon par Mille de ses aboiements habituels. Rien à foutre de l'absence des riffs-mitrailleuses et des breaks fulgurants typiques du groupe. C'EST PAS LE PROPOS.
Au Kreator Thrash et haineux se substitue un Kreator dépouillé, mid-tempo et intimiste. Il faut bien intégrer ça. C'est un autre Kreator.
Et ceux qui ont chié dessus à l'époque, après une demi-écoute, uniquement parce que c'est pas Thrash, qui ont dit que le groupe s'était mis au gothique pour faire plus de blé sont des connards ou des feignasses. Ils n'ont RIEN compris à la démarche du groupe ou n'ont pas cherché à le faire.
Merci pour ce disque, Monsieur Petrozza.
