Heavy metal - 1985 - UK
J'ai reçu le double CD en début de semaine. Tout le monde connaît ce disque par cœur et je ne vois pas trop l'intérêt d'en faire une véritable chronique (on parle assez de Maiden ici non ?). Pourtant l'émotion toute particulière que j'ai eu lorsque j'ai tenu le
Live after death dans les mains m'a renvoyé vingt ans en arrière.
A l'époque, adolescent crétin, je venais de découvrir le hard rock. Ce live sortait en même temps que le
World Wide Live d'un autre géant du hard (Scorpions). Le dos de ma veste en jeans s'ornait d'un Eddie sortant de sa tombe (pour la première fois et pour le meilleur, sa deuxième expérience en la matière ayant donné le pire). Des clous sur les épaules et au poignet, vingt kilos de badges et mon fidèle patche Manowar sur le cœur

), j'arpentais les quelques disquaires de Perpignan (et tous les supermarchés) à la recherche de précieux disques ou de précieuses cassettes, me demandant toujours comment ces albums extra-terrestres parvenaient à se frayer un chemin jusqu'à notre trou intergalactique.
En ce temps là, les hard rockers étaient perçus à peu près comme les rappers actuellement : on les repérait à 100 lieues et on les assimilait à des voyous. Le hard faisait peur et défrayait la chronique : Ozzy pissait sur les ruines du Fort Alamo, Motörhead était le groupe qui jouait le plus fort au monde, Scorpions (tout comme Metallica bien des années plus tard) séduisait les foules avec des ballades en single mais vrillaient les tympans de l'impudent se fendant de l'achat de l'album avec les hyper violents "Dynamite", "Blackout"…
Bref, le hard rock (tout comme le rap en fait) malgré ses ventes colossales dans le monde faisait chier dans leur froc les bien pensants.
Dans les bacs on distinguait entre les disques de Prince, U2, Cure ou Simple Minds les monstres déterrés de Maiden, les pochettes quasi pornos de Scorpions…
J'ai du palper ce double album (2 disques mais t'as vu le prix ?!!) des dizaines de fois. Et des dizaines de fois je me suis dit : trop cher. Au moins 80 ou 90 francs à l'époque pour un double album (entre 12 et 14 euros petit con !

) Et je reluquais encore et encore cette pochette bleue et jaune. Cet Eddie brisant ses chaînes (si c'est pas un symbole adolescent ça…), frappé par un étrange rayon en plein milieu du front (oui oui, c'est à l'endroit où une petite attache maintient son crâne décalotté sur
Piece of mind) et jaillissant de sa tombe. Eddie… le premier hardos en fait : cheveux éclatés, jeans serrés, t-shirt, sourire carnassier, encore un "modèle" génial non ? (mon Eddie préféré est celui de Killers… j'attends le CD sous peu

) En tout cas ce truc foutait les chocottes et les "adultes" pensaient vraiment que vous ne pouviez qu'être qu'un gros crétin adolescent pour acheter des disques avec des horreurs pareilles sur ces pochettes (
sans parler des beuglements et des bruits de tronçonneuses enregistrés dessus… et pis t'as vu leurs coupes de cheveux ?)
Faut bien le dire, Eddie à lui seul était une sorte de porte étendard du "mauvais goût heavy metal" (ce mauvais goût kitsch dont les connards de Rock & folk continuent de se moquer, engoncés dans leurs tiagues en croco et dans leur fanatisme stonien de merde). Le hard rock choquait. Le hard rock VOULAIT choquer. Pochettes "horribles", monstres, paroles fantastiques, look de super héros, noms destroy (La vierge de fer, le sabbat noir, le prêtre de Judas, Venin, Tueur…) etc. Tout était fait pour déranger le bourgeois.
On peut mettre tout ça sur le compte de la révolte adolescente. Et ce serait fondé, en partie, c'est évident. Mais j'aime à croire qu'il n'y a pas que cela. J'ai le souvenir (peut-être déformé) d'une véritable attitude chez tous ces groupes : cette attitude, cette sincérité débile d'être "plus fort, plus bruyant, plus rock" que n'importe qui. Le groupe les plus violents s'appelaient Venom, Metallica ou Morsüre (lol) mais Maiden était encore VIOLENT, agressif, "méchant". Cela peut paraître incroyable en 2004 mais c'est pourtant la vérité. Vous passiez "The trooper" à un non initié et il vous regardait les yeux fous en vous disant "
Mais comment tu peux écouter ça ? Putain mais c'est du bruit !". J'ai le souvenir d'avoir passé l'album
Theater of pain de Mötley Crüe dans une soirée et une petite blonde a hurlé l'air atterré : "
Mais ils improvisent les mecs là ou quoi ?" (espérons que cette jeune femme ne tombera jamais sur un disque de Gronibard…).
Un mec du Figaro (Powels je crois, le mec qui avait parlé du sida mental au sujet de la jeunesse en grève en 1986, ça situe le personnage) avait chroniqué un concert de Judas Priest me semble-t-il (et si ce n'est pas lui, c'est un de ses sbires RPR) en décrivant la chose comme un rassemblement de secte avec une foule répondant au moindre sollicitation de son gourou (si cette petite fiente de gratte papier avait su à l'époque "qu'en plus" Halford était PD il s'en serait étouffé dans son Havane).
Mais je m'égare. Revenons au
Live after death.
Tous les hard rockers que je connaissais pratiquaient le jeu de rôles, activité sulfureuse s'il en est (on est en 1985 et des magazines comme "ça m'intéresse" publiait des dossiers alarmistes sur le sujet). La combo hard rock + jdr faisait de vous un futur déchet de la société, une sorte de brebis galeuse à l'avenir bouché (
déjà qu'il écoute du bruit, en plus il fait des jeux diaboliques le samedi avec ses potes, moi je te dis qu'il manque plus qu'il se drogue…). Pourquoi je vous raconte ça ? Ben parce que quand on fait du JDR en 1985 on découvre à la fois un nouveau jeu de rôles ("Call of Cthulhu") et l'écrivain qui a inspiré ce jeu : HP Lovecraft. Et qu'est-ce qu'on voit tout ébaubi sur la pochette du
Live after death ? Bah oui, une citation de Lovecraft. Et pour nous, au fin fond du trou du cul du monde, quand on reluque cette pochette en transpirant sous son cuir, en comptant les pièces dans sa poche pour savoir si ENFIN on a les 90 balles pour acheter ce foutu double disque (quelle idée de faire des disques aussi chers) ou s'il va falloir demander une rallonge de l'argent de poche à sa mère (qui, quand elle va voir la pochette du disque, la refusera immédiatement)… ben on sent tout d'un coup CONNECTE. Connecté au monde. Connecté à la confrérie, aux "brothers of metal". On se dit "
putain on lit les mêmes livres". On se dit "
putain ce Harris, déjà que c'est le meilleur bassiste du monde (non seulement on a découvert la différence entre une basse et une guitare la veille mais en plus on est très con à cet âge)
il connaît AUSSI des super trucs comme Lovecraft…)
Voilà. Le
Live after death c'est tout ça. Je l'ai reçu au bureau et je l'ai déballé à la pause, mais j'ai été dérangé et je l'ai balancé sur un tas de paperasse. Ce n'est que le soir que je l'ai vraiment "tenu" dans mes mains.
Et je me suis dit que j'avais attendu 20 ans pour enfin le posséder. Etrange non ? Commandé à 9 euros sur Amazon. Et ça m'a fait drôle. Et tout ça est remonté à la surface. Je ne sais pas si c'est intéressant, mais c'est une petite partie de l'histoire de cette musique que j'avais envie de vous raconter. Dont acte.
Ah oui au fait, je l'ai écouté.
Il est pas mal cet album.