
Zabriskie Point - Des hommes nouveaux
Zabriskie Point - Des hommes nouveaux
Le rock - de nos jours - oublie trop souvent de faire appel à des pulsions adolescentes. Ce truc dans le ventre qui cogne quand un riff résonne sur un beat primal. Cette envie irrésistible de sauter partout et de tout casser. Parce que fondamentalement le monde et la vie sont merdiques, jamais à la hauteur de nos espoirs d'êtres humains. Et que la musique (rock en particulier) est un formidable exutoire pour la frustration quotidienne d'une condition lamentable de "civilisé embourgeoisé".
Zabriskie Point nous fournit avec sa poignée de disques, du fuel, du carbure pour les survivants du ciel gris. La machine est assurément punk. Un punk mélodique et intrinsèquement rock, fait de guitares tranchantes, d'hymnes courts aux mélodies "faciles" (ah ah ah). Ici ou là on distingue un vieux relent de rock alternatif (même si au fil des albums le groupe s'est un peu "sophistiqué"), une effluve américaine (Ramones bien entendu et hardcore mélodique). Et comme nous sommes en France, on sent le fantôme éthéré de Noir Désir planer (évident "Dans la ville").
La mécanique gronde, le moteur est surgonflé, ambiance "remonté à bloc". Et dans cette atmosphère électrique, François, le chanteur se balade. Moins maniéré que sur
Paul, il impose une voix, un phrasé et une personnalité unique, passant d'un chant léger, sourire en coin, à des choses plus puissantes ou plus "nerveuses".
Si les Zabriskie Point dépassent de cent coudées la concurrence, c'est grâce à leur discours. Ce seul discours, cette seule attitude donne chair à sa musique, lui donne une dimension que toutes les guitares superposées et compressées de je ne sais quel néo-hurleur métallique ne saurait atteindre. La colère ironique, la révolte désabusée du groupe rend l'ensemble aussi violent qu'un crachat en plein visage, qu'un uppercut au foie.
En douze titres, les Zabriskie développent le fameux "no future" punk, à grandes phrases décalées, égocentriques, provocatrices, délirantes, nihilistes ou utopistes… On n'est pourtant pas dans la poésie ou la grande littérature… Tout ça reste rock, urbain, vocabulaire quotidien, parfois (volontairement) grossier mais jamais vulgaire. Et parfois surréaliste ou hyper imagé. François joue avec les idées, politiques, "philosophiques" en se jouant des clichés, des conventions (y compris celles du punk !), faisant voler en éclats les idées toutes faites et le politiquement correct. La démarche est "extrême" ("Si c'est un homme", "Dans la ville") et d'une incroyable violence… Une violence que je trouve positive (loin des violences rap dont on débat dans la presse et en haut lieu ces jours ci), parce qu'elle pousse à la réflexion (en tout cas la mienne). La réflexion sur soi, ceux et ce qui nous entourent, sur la vie, le monde et notre rapport au monde. Et par-dessus tout sur les conventions dans lesquelles nous nous enfermons toujours trop, par lâcheté, par envie de ne pas s'emmerder à faire autrement, parce que, faire autrement, cela demande un certain effort ("
et déjà nous ne savons plus ce que veut dire suer, sans cesse portés que nous sommes par des océans d'escalators")
Je retrouve là certaines de mes valeurs, mes aspirations, de mes contradictions, certains de mes rejets. Avec toujours cet humour acide, cocktail explosif de cynisme et de lucidité. Cette énergie de la pensée fusionnée à celle, primitive, d'un rock basique donne un mélange unique qui propulse cet album au-delà de ce que l'on attend d'un simple disque. "
C'est la vie tel qu'on le soupire". Et arrivé à ce stade, je manque de mots. "
Quand les faits n'ont plus rien à dire, tragique et silence, on devrait s'arrêter ici".