
ALICE COOPER - FROM THE INSIDE - 1978
En 1978, à l’issue d’une décennie passée à se prendre pour Icare, la plupart des légendes américaines du hard rock, après s’être un peu trop approchées du soleil des projecteurs, avaient entamé une chute souvent vertigineuse… Grand Funk n’était plus... Le Blue Oyster Cult était en hibernation FM. Aerosmith et Kiss connaissaient de gros problèmes internes. Quant à Alice Cooper, il n’allait pas bien non plus. En 78, il avait tout de la star déclinante... Le Cooper effrayant et malsain était devenu un alcoolique mondain, souvent invité à la télé américaine. Il ne faisait plus peur, il amusait (faisait pitié diraient les mauvaises langues). Afin de vaincre ses démons intérieurs, Alice se fit interner dans une institution spécialisée.

Il en sortit (provisoirement) guéri. Il tenait aussi le sujet de son prochain concept album…
Ainsi, après les souvenirs d’écolier de School’s Out, les marins en goguette de Muscle Of Love, le cauchemar de Welcome To My Nightmare, le voyage en Enfer de Goes To Hell, voici From The Inside ou mon séjour chez les cinoques…
La pochette est dans l’esprit des œuvres délirantes qui ont précédé (cf. School’s Out, Billion Dollar Babies). Elle me rappelle les livres pour enfants de mes tendres années. L’album Physical Graffiti de Led Zep propose un délire similaire. Le recto nous montre le visage d’Alice en gros plan, avec le make-up, sous un éclairage glauque. Deux portes apparaissent aussi en superposition et le 33t se déplie et s’ouvre : nous voici à l’intérieur même de l’asile d’aliénés. Les personnages décrits dans les chansons apparaissent ici en action : le joueur invétéré de Serious, l’infirmière Rozetta, le couple infernal Millie et Billie , le vétéran de Jackknife Johnny, etc… En haut à gauche se trouve une petite porte, celle de la chambre capitonnée : ouvrons-là ! Qui donc se cache derrière elle ? Alice revêtu d’une camisole.
Le verso nous montre un bâtiment en briques. Les portes s’ouvrent elles aussi et dévoilent Alice et ses compagnons d’infortune, libérés, se précipitant vers la sortie, infirmières et médecins leur faisant des gestes d’adieu.
L’album est produit et arrangé (dérangé-dixit les notes de pochette) par David Foster (pas spécialement connu pour être un spécialiste du rock qui déménage)… bye bye Bob Ezrin.
Keith Olsen est crédité comme ingénieur du son. Le guitariste Dick Wagner est toujours là mais Steve Hunter est remplacé par un certain Steve Lukather (on retrouve aussi Steve Porcaro aux synthés). Rick Nielsen de Cheap Trick joue sur Serious. Des membres du groupe d’Elton John sont aussi présents : le bassiste Dee Murray et le guitariste Davey Johnstone. On entend même Kiki Dee dans les chœurs (vous savez, l’immortelle interprète de Don’t Go Breakin’My Heart avec Elton John justement, encore plus kitsch que du ABBA). Il est vrai que l’album est co-écrit par Bernie Taupin, l’alter-ego d’Elton.
Le thème du disque aurait pu donner un résultat grandiose. On se souvient de la folie (véritable) qui émanait de la face B de Love It To Death, de la démentielle Ballad Of Dwight Fry. L’auditeur était en droit d’attendre de l’intense, du croustillant, du grandiose. Vol au-dessus d’un nid de coucou version hard rock.
Seulement, cette fois, Alice n’est pas accompagné par le génial groupe de ses débuts mais par des requins de studio. Et le résultat est un disque de rock FM, à la production aseptisée et aux arrangements convenus. En fait, From The Inside est une sorte de catalogue hétéroclite du rock US de la fin des années 70 (en cela, il me fait penser à l’effort solo de Gene Simmons paru la même année). Le premier morceau, From The Inside, surprend. Des notes de piano semblent annoncer une ballade mais très vite survient un riff de guitare distordu (ouf se dit le fan qui a eu sa dose de slows sur l’album précédent…). La batterie a un je ne sais quoi de disco (mais n’oublions pas que nous sommes en 1978 et qu’Alice a tourné un film avec les Bee Gees). Ce qui surprend, c’est d’entendre la voix caractéristique du Coop sur un tel fond sonore. Les paroles ne sont pas inintéressantes et sont très autobiographiques : « I got lost on the road somewhere Was it Texas or was it Canada Drinking whiskey in the morning light ». L’album contient d’autres compositions du même type : Serious (assez sarcastique, un poil plus agressif) et For Veronica’s Sake. Le seul rock typiquement cooperien apparaît en deuxième position : Wish I Were Born In Beverly Hills. Ce titre aurait pu être enregistré sans problème à la grande époque (il n’aurait pas surpris sur Billion Dollar Babies, voire sur School’s Out). Nurze Rozetta annonce certaines chansons du début des années 80 : grosse voix caricaturale qui ne fait plus peur.
Les sucreries sont aussi de la partie. The Quiet Room est, formellement parlant, l’archétype de la ballade californienne FM, avec son piano, son solo mélodique et coulé (superbe d’ailleurs). On notera la présence d’un crescendo réussi avec un Alice qui s’énerve (mais pas trop). Toutefois, on reste plus près des Eagles (style I Can’t Tell You Why) que de l’Alice Cooper vintage (trois ans plus tôt, Steven dégageait cent fois plus d’authenticité et d’intensité). Jackknife Johnny est une jolie chanson touchante qui conte les déboires d’un vétéran du Viet Nam. Il y a aussi How You Gonna See Me Now, encore une ballade (émouvante- excellente prestation de Dick Wagner) qui sonne très Elton John : ce morceau s’inspirerait d’une lettre qu’Alice aurait réellement adressée à sa femme. Ce titre, sorti en 45t, sera d’ailleurs un tube (N°12 US), le dernier avant Poison, une dizaine d’années plus tard. La face B proposait un excellent morceau ne figurant hélas pas sur l’album : No Tricks, duo fracassant avec une certaine Betty Wright. La fin de chacune des faces du vinyl d’origine se révèle éprouvante pour l’amateur de rock. En face A, c’est Millie and Billie. Il s’agit d’un duo avec une certaine Marcy Levy (qui chanta aussi aux côtés d’Eric Clapton). Il y a là une contradiction étonnante entre le fond et la forme : il s’agit de l’histoire bien malsaine de deux amants qui se sont débarassés d’un mari gênant de façon atroce. « It’s fresh in my memory the night that it had to be done- You with your pick axe and scissors- And you with your shovel and gun-And I liked your late husband Donald but such torture his memory brings-All sliced up and sealed tight in baggies-Guess love makes you do funny things”. Mais ce morceau sonne comme un titre de variété lénifiante de la pire espèce, le genre de truc kitschos qu’on imaginerait bien finir à l’Eurovision s’il était entonné par des Grecs. Gare à l’indigestion de violons ! Cette inadéquation entre le contenu sinistre et l’orchestration poisseuse est peut-être censée être de la provocation, du second degré... Cela n’en demeure pas moins de la soupe. En face B, c’est Inmates (We’re All Crazy), ode à la folie et aux lunatiques, sorte de comptine enfantine perverse (mais à mon avis noyée dans des arrangements lourdingues). Le finale tient de la pièce montée avec ses grosses orchestrations symphoniques. Alice tente de nous refaire le coup de Goes To Hell (Goin’Home) ou de Billion Dollar Babies (I Love The Dead).
A l’arrivée, on obtient un album qui n’a pas fait un score extraordinaire dans les classements de l’époque (68 US, 61 GB), seul le single s’étant correctement classé. Ces dernières années, From The Inside a été curieusement réévalué et certains fans crient au chef-d’œuvre. Il est vrai qu’Alice en personne déclara dans certaines interviews qu’il s’agissait de son disque préféré. C’est indéniablement son œuvre la plus autobiographique et peut-être la plus sincère. Mais cela n’est pas forcément gage de qualité. En 1973, Billion Dollar Babies avait effectivement réussi à détourner habilement les procédés commerciaux traditionnels de la variété et pouvait s’écouter à plusieurs niveaux. Il n’en va pas de même avec FTI que tout vrai fan de Cooper se doit néanmoins de connaître.