Tout le monde connaît l’histoire. Deux ans auparavant, le Madman s’était fait éjecter en pleine messe noire… Il était tellement défoncé qu’il ne se souvenait plus des incantations démoniaques adéquates. Le nouvel officiant n’était plus tout jeune mais ses capacités vocales étaient radicalement différentes de l’ex-Magicien d’Oz. Sa principale faiblesse était cependant son optimisme béat, cette luminosité qui contrastait avec le chant torturé de son illustre prédécesseur et avec les postures de Dark Vador Iommi. D’ailleurs, Dio n’était-il pas un elf(e) issu d’un arc-en-ciel magique ? Heaven And Hell, leur offrande de 1980, avait totalement relancé le vieux train fantôme cahotant et bringuebalant. C’était un excellent disque de DiofeaturingIommiWardButler. Ce bel ovni scintillant avait séduit les jeunes fans de heavy metal. Certes, quelques antiques adeptes étaient descendus en marche, préférant même affronter un terrible blizzard plutôt que de continuer le voyage dans de telles conditions. Dommage pour eux. L’étape suivante valait vraiment le coup. Mob Rules, qu’elle se nommait. L’endroit était putride à souhait. Rien à voir avec le Paradis éthéré de l’année d’avant. Non loin des égouts, cinq formes encapuchonnées attendaient les courageux passagers. Elles étaient parvenues à dresser un grand drap blanc sur lequel elles avaient représenté, grâce au sang d’une jeune vierge, Celui Qui Ne Doit Pas Etre Nommé. Du coup, le vieux cogneur Bill Ward s’était métamorphosé en batteur heavy metal. Vinnie Appice qu’il s’appelait maintenant. Les autres avaient rajeuni. Et Tony Iommi avait retrouvé la recette des riffs dantesques, qui s’étaient faits rares sur H&H. Le producteur Martin Birch était au sommet de son art.
Un Turn Up The Night lourd et puissant ouvrait les réjouissances. Classique, diraient les mauvaises langues ! Seulement, un ingrédient inédit avait judicieusement été ajouté aux bons vieux philtres éprouvés : la vélocité. Il ne s’agissait certes pas de speed, mais Turn Up The Night dépotait bien. La voix de Dio sonnait froide et menaçante. La section rythmique pesante contrastait avec la guitare de Iommi, impalpable et insaisissable telle le vif-argent. Après un inquiétant solo de métal en fusion, s’achevant sur des notes évoquant une agonie, la rythmique reprenait le dessus et écrasait tout sur son passage. Le maléfique Voodoo pouvait prendre le relais. Un riff implacable, un chant impitoyable, des chœurs glacials (le « Voodoo » final), décidément cette deuxième déflagration empêchait le soufflet (rien que le solo !) de retomber comme ce fut le cas sur Heaven And Hell, avec ce magnifique Children Of The Sea, hélas si mal placé. Cette fois, le morceau lent et épique était judicieusement glissé en troisième position. The Sign Of The Southern Cross, rien que le titre était éminemment prometteur. Un début accoustique et un Dio prenant une voix d’ange déchu créaient une ambiance extraordinaire et unique. Mais The Sign... n’allait pas tarder à révéler sa vénéneuse nature. Un riff puissant et grandiose s'imposerait très vite et le monstre se mettrait en mouvement, telle la créature lovecraftienne de L’Abomination de Dunwich. Plus rien ne l’arrêterait désormais, pas même les claviers de Geoff Nicholls, que l’on n’avait pas entendus jusque-là. E 5150 faisait office de transition, un peu comme The Message sur Pieces Of Eight de Styx. Peu comprirent alors la signification profonde de cet instrumental glauque. Il signifiait Edward ! 5150 ! En effet, cinq ans plus tard, un certain Edward, en mal d’inspiration, baptiserait son très attendu nouvel album 5150 (il aurait tout aussi bien pu le nommer Born Again) ! Vilain garçon que cet Edward qui s’était inspiré des anges fumeurs de H&H pour son oeuvre intitulée 1984. Il avait même volé la vedette au Sab en 1978. Mais comme tout se paye, il avait été à son tour victime de la malédiction des chanteurs.
The Mob Rules permettait à la face A de s’achever de bien fracassante façon, dans le bruit et la fureur d’un canyon, sous les assauts d’une bande d’Orques assoiffés de sang. Cet hymne figurerait en bonne place dans la B.O. du dessin animé Heavy Metal et il serait d’ailleurs le seul à mériter pleinement cette appellation.
Contrairement à H&H, le groupe avait cette fois envoyé la sauce sur l’intégralité de la première face. Cela évitait l’alternance classiques ultimes/bons morceaux, comme ce fut le cas précédemment. Mais le contrecoup, c’est que la deuxième partie de l’œuvre était un peu moins décisive que la première. Pas déshonorante cependant. Country Girl était basé sur un bon riff. La frappe bonhamienne de Vinnie, le superbe solo de Tony, tout cela n’était pas rien… Mais c’est la voix magique du farfadet qui portait le tout et Dio se la jouait tour à tour puissant, lyrique et envoûtant. Il se démenait pour apporter magie et émotion à un titre plus anecdotique, modulant à la perfection, montant dans les graves, ou jouant la carte de la brisure pathétique.
Le rentre-dedans Slipping Away était un autre bon morceau d’album, permettant par moments de donner la vedette à la basse de Geezer. Rappelons qu’une chanson basée sur le riff de Can’t You Hear Me Knocking des Stones ne saurait être mauvais.
Falling Off The Edge Of The World était un Sign Of The Southern Cross bis. Leur construction était très similaire. Après un départ éthéré et cristalllin, un gong sinistre suivi d’un développement instrumental majestueux annonçait une inexorable montée en puissance, une accélération du tempo, des riffs véloces agrémentés de ces inimitables solos iommiens… et la voix de Dio qui survolait tout cela, avec une extraordinaire aisance. Oui, en écoutant cela, on avait l’impression de s’apprêter à plonger dans un gouffre sans fond, sans possibilité de retour…
Over And Over, une sorte de slow heavy, terminait l’œuvre en apothéose. Les riffs pleins d’emphase posaient l’ambiance très particulière. Dio était lui-aussi à l’apogée de ses possibilités. Mais le véritable héros de cette composition était Tony Iommi, littéralement en état de grâce et prenant des solos d’une beauté et d’une classe extraordinaires, gorgés d’émotion. Que ceux qui croient que le heavy metal est une musique froide et sans âme écoutent cela. La coda de cette merveille est unique, avec d’un côté les « Over » de Dio et, de l’autre, cette avalanche de notes stridentes, exprimant le plus intense désespoir… Comme si Iommi sentait que c’était fini, qu’il n’y aurait pas de lendemain pour cette formation.

Tout cela n’empêcha pas nos sataniques majestés de lancer un subliminal appel au meurtre de leur ex-hurleur. En effet, le bas de la pochette était (est) orné d’un inquiétant Kill Ozzy. Celui-ci n’étant pas né de la dernière pluie fit en sorte de se protéger et que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut son jeune guitariste qui fut sacrifié aux forces des ténèbres quelques mois plus tard.
Le choc en retour fut néanmoins destructeur pour les apprentis sorciers et cette belle formation ne survécut que peu de temps. Dark Vador Iommi et son âme damnée, le maître d’hôtel Geezer furent alors contraints de s’acoquiner avec le Roi Vitesse. Mais c’est une autre histoire.

Superbe chronique passionnante à lire, on en oublie presque l'album tant on est pris dans ce que tu raconte, ça donne en tout cas envie de ressortir très vite Mob Rules très vite, ça fait un bail que je ne l'ai pas écouté en plus

Ouais, très bonne chronique.

Pour ce qui est de l'album, bah comme pas mal d'albums du Sab, j'adore.
Il est assez différent d'Heaven and Hell (moins bon au final certes) et renoue avec le côté sombre de la période Ozzy.
Voodoo, The Sign of the Southern Cross et The Mob Rules en sont mes titres préférés.
Un bon 4/5
J'vais me le réécouter tout à l'heure tiens.

Et pour l'album avec le Roi Vitesse dont tu parles à la fin, je l'ai encore réécouté mercredi, c'est vraiment une tuerie trop méconnue dans leur immense discographie.

J'avais jamais fait le rapprochement!


Bon sinon, excellent album : 5/5 bien mérité!

Beaucoup plus homogène, harmonieux et mieux construit que H&H. Un des tout meilleurs albums du SAB, le génie des 70's est égalé.

J'adore le titre "Falling off the edge of the world", mon morceau préféré du SAB avec Dio. C'est beau.

Le dernier grand album du SAB. (Born again est largement en dessous je trouve).

je vais pas m'en tenir à un "très bonne chronique" qui n'a rien de très personnel.

Je vais donc édulcorer un peu en disant que j'aime beaucoup ta plume, et que cette chronique est vrai régal à lire (sauf que j'ai pas bien compris le bordel avec 5150 et Edward...C'est pas bien grave )

J'aime bien ton prallèle Elfe/Orques qui ne sautera pas forcément aux yeux du lecteur distrait

Voilà, sinon l'album je n'ai pas vraiment capté le truc (à part falling of the edge of the world, rien ne me revient en tête sur l'instant) mais je n'ai pas encore dit mon dernier mot sur la question.

Concernant Van Halen, tout n'est bien sûr pas à prendre au premier degré. C'est juste un gentil délire.
Au sujet du titre E5150, j'ai lu une explication qui prétend qu'il s'agirait d'une erreur de la maison de disque. En réalité, ce serait S5150 et cela renverrait à un modèle de guitare utilisé par Iommi (une Gibson, si je me souviens bien).

Je crois que 5150 est aussi le code utilisé par le FBI pour désigner la folie furieuse.

En tout cas, il est exact que Van Halen a fait la 1ère partie du Sab en 1978 et que le groupe américain lui a souvent volé la vedette.
Il existe des similitudes indéniables entre les pochettes de H&H et 1984.

Quant à la "malédiction des chanteurs", c'est un fait indéniable.

Born Again aurait pu être absolument dantesque s'il avait été produit par Birch (de toute façon, j'adore B.A.).

5150 c'est aussi le nom du studio de VH.
Et c'est ensuite également devenu la référence de son ampli Peavey.

Et puis ça change de 666!

Même si je préfère le Sab avec Ozzy ou Ian Gillan (plus "evil" alors qu'avec Dio, le Sab se colle à la NWOBHM, cf Turn up the night), c'est un très bon cru.
Vinnie Appice apporte un gros plus pour la rythmique, là où Bill Ward me paraissait un peu essouflé et mou sur HnH.

J'aime moins Voodoo et Country Girl, elles tournent un peu en rond mais le reste est top. Titres préférés : Mob Rules, Slipping Away (j'avais jamais fait le rapprochement avec le riff des Stones, mais c'est très bien vu), Falling off the edge of the world (le Hallowed be thy name du Sab ?) et Over and over, magnifique. 4/5

Oui, Vinnie Appice a une frappe phénoménale sur la plupart des morceaux.

Je le reecoute depuis hier et vraiment merci de m'avoir poussé a le ressortir, j'avais oublié a quel point il était bon, j'ose même dire superieur a H&H, dans mon souvenir c'etait l'inverse mais après reécoute, force est de constater a quel point ce Mob Rules est excellent du début a la fin, et c'est vrai qu'il y a un petit coté sombre assez appreciable

Pour moi, c'est un disque qui symbolise le heavy metal "classique".

J'suis en train d'écouter quelques morceaux au pif de Mob Rules, Headless Cross, Master Of Reality et Sabotage. Ben y a pas à dire, avec Ozzy ça a quand même une autre personnalité. Sans lui c'est nettement plus classique en effet, plus propre, plus lisse, moins sulfureux, et surtout moins remarquable.

Ozzy a effectivement une personnalité plus sulfureuse que Tony Martin.
Quant à Mob Rules, il est quand même nettement plus intéressant que Headless Cross.

Un très bon album, même si c'est pour moi le moins bon des trois Black Sabbath avec R-J. Dio.

D'accord pour dire Born again mérite une réhabilitation, même s'il est loin d'être du niveau de ces prédécesseurs.

Je suis d'accord, Born Again est un album beaucoup trop mésestimé.

Personnellement, c'est mon préféré des 3. Mais j'apprécie énormément H&H.
Quant à Born Again, je l'ai toujours aimé et il me rappelle plein de bons souvenirs.

ça dépend de ce qu'on entend par plus "intéressant" et ça dépend de qui aussi. Pour ma part Mob Rules n'a aucun interet, autant que je n'écoute pas de musique plutôt que du son qui m'emmerde. Headless j'aime et j'y retrouve des choses qui justement peuvent m'interesser, me parler, me toucher, me titiller le poil etc. Original ou pas je m'en moque éperdument.

A partir du moment où l'on peut réduire Mob Rules à du "son qui emmerde l'auditeur", et où Headless Cross se voit accéder au statut d'oeuvre susceptible d'intéresser ledit auditeur, de lui parler, de le toucher, de lui "titiller le poil", il est clair que l'on est en pleine 4ème dimension.
Tous les albums sur lesquels figure T.Martin ne sont pas mauvais, non, mais Headless Cross et Forbidden sont néanmoins assez gratinés.
Le pire étant que l'un des groupes fondateurs du metal ait pu se transformer en orchestre de 3ème zone!
Les réserves que l'on peut avoir vis-à-vis de Tony Martin ont été résumées par Sharon Osbourne en 1994 (j'ai retrouvé cela dans le N°3 de Hard&Heavy):
"M."The Cat" Martin. Suite à vos déclarations selon lesquelles vous pensez que M.Osbourne serait incapable de "reprendre vos trucs" (je suppose que , par "trucs", vous sous-entendez "chansons"), je tiens à préciser, pour votre information, que M.Osbourne a vendu vingt millions d'albums depuis son départ de Black Sabbath sans avoir à reprendre la moindre de vos chansons, ou plutôt, pour votre compréhension, "trucs".
Vous vous permettez en outre d'émettre que M.Osbourne est "plus un showman qu'un chanteur." Pourriez-vous alors m'expliquer pourquoi les albums que M.Osbourne a faits avec Black Sabbath sont considérés comme légendaires et se vendent encore par centaines de milliers chaque année? Je me permets d'ajouter que la raison d'un tel succès ne repose pas complètement sur les épaules de M.Osbourne mais bien sur l'alchimie magique qui était celle de Black Sabbath à cette époque.
M."The Cat", vous vous pensez encore autorisé à penser être "le seul possédant une voix capable de couvrir les titres de Sabbath, toutes époques confondues". C'est seulement parce que votre voix est banale, sans individualité et qu'il vous est possible à partir de là d'imiter les phrasés et styles des autres chanteurs. Vos commentaires sur Messieurs Osbourne, Dio et Gillan ne montrent qu'une seule chose: votre total manque de respect vis-à-vis de ces grands chanteurs/frontmen.
En conclusion, je voudrais juste vous rappeler que vous êtes payé chaque soir pour chanter des titres d'Ozzy Osbourne alors qu'Ozzy Osbourne n'aura jamais à interpréter vos chansons.
Signé: Sharon "The Bitch" Osbourne.
P.S.: J'aimerais porter à votre attention, M."Cat", que, sur toutes les publicités radio concernant votre tournée actuelle, ce sont des titres qu'Ozzy Osbourne chantait avec Black Sabbath qui furent choisis en trame sonore et non pas les vôtres. Pourquoi cela?"

La chronique ultime de Headless Cross se trouve ici: http://starling.rinet.ru/music/sabbath.htm#Cross

Je savais pas que Tony Martin critiquait ses prédécesseurs.
Ca me rappelle Joe Lynn Turner quand il avait rejoint Deep Purple, il critiquait souvent Ian Gillan aussi.
Ils font surement ça car quelque part ils sont frustrés et savent qu'ils ne seront jamais totalement acceptés du public.

Un peu comme Phil Campbell de Motörhead, qui se permet de critiquer à la fois Brian Robertson et Fast Eddie Clarke, car lui n'a jamais été reconnu à sa juste valeur (mais bon, il n'a jamais eu la classe de ces 2 là non plus).