
MÖTLEY CRÜE: SHOUT AT THE DEVIL (1983)
« Nous sommes un sang nouveau apporté au hard rock, nous sommes plus frais que tous les groupes qui depuis dix ans font la même chose… »
Vince Neil.
1983. Stupeur et consternation dans le monde du hard rock : Kiss, le célèbre groupe new-yorkais, renonce brusquement à ses légendaires maquillages. Mais un jeune groupe californien est sur le point de reprendre le flambeau. Leur nouvel (et deuxième) album s’intitule Shout At The Devil. Depuis quelques mois, la presse diffuse des photos assez hallucinantes des membres de ce combo : look cuir, tignasses en folie, hémoglobine… Tout cela est prometteur. A la fin de l’année, sortie du disque. Qu’attendre d’un tel orchestre ? La musique sera-t-elle en adéquation avec la dégaine des musiciens ? Ou tout cela ne constituera-t-il qu’un lamentable coup de pub savamment programmé ?
Le début de l’oeuvre peut laisser perplexe : In The Beginning est une sorte d’instrumental inquiétant sur lequel vient s’ajouter un récitatif aux relents apocalyptiques qui s’achève sur ces mots : « “ Those who have the youth have the future.” So come now, children of the beast, be strong, and shout at the Devil.” Ouf !, il ne s’agit que d’un prélude destiné à mettre l’auditeur en condition et à annoncer le titre éponyme.
Parlons-en de ce Shout At The Devil. Simple, entraînant, Shout… est tout simplement irrésistible. C’est une composition du bassiste allumé Nikki Sixx. La voix de Vince Neil (chanteur si décrié par certains) contribue à créer une atmosphère festive, pleine d’insouciance. Rares sont les groupes à avoir su capter non pas le malaise adolescent mais le bonheur d’être jeune et de s’éclater. La batterie de Tommy Lee est très en avant. Le très sous-estimé Mick Mars («… notre guitariste, qui aime bien avoir à trouver des soli très courts… ») n’est pas en reste, enrichissant ce classique de petites interventions excitantes et inspirées. En fait, dès ce premier véritable morceau, Mötley apparaît dans toute sa splendeur et révèle sa vraie nature : celle d’un très grand groupe. Certes pas particulièrement technique. Mais un groupe soudé. Quatre potes, qui ont eu leur lot d’embrouilles et de vaches maigres, unis contre le reste du monde. « Me and the boys made a pact to live or die » comme ils le clament plus loin dans Danger. Pour en revenir à Shout…, on trouve là la recette magique qui sera appliquée tout au long des dix compositions qui constituent l’album (je n’inclus pas In The Beginning dont la musique est attribuée à un certain Geoff Workman), c’est-à-dire des refrains imparables entonnés par des chœurs martiaux, et destinés à être repris par le public sur scène. La production de Tom Werman, dépouillée, honnête crée un son rugueux, quasi-live qui ne fait que mettre davantage en valeur la qualité et la simplicité des chansons.
La même alchimie est présente sur l’autre classique incontournable de l’album : Looks That Kill. Un riff génial qui emporte tout (encore une compo du seul Nikki Sixx dont on ne soulignera jamais assez la capacité qu’il a (avait ?) d’écrire de petites bombes). Pour moi, ce riff n’a rien à envier aux Rolling Stones. Et s’il n’y avait que le riff ! On a aussi un refrain des plus géniaux, envoûtant à souhait. Impossible de ne pas le reprendre avec le groupe lorsque les chœurs clament « She’s got the looks… » Mick Mars y va à nouveau d’un solo concis qui en dit plus en quelques secondes que certains en un triple album… Le clip était très rigolo, avec son côté heroic fantasy et ses sauvageonnes déchaînées…
Après ces deux chansons d’anthologie, on pourrait s’attendre à un ralentissement, à une baisse de tension. Que nenni (à part peut-être l’instrumental plein de sensibilité de Mick Mars, le joli God Bless The Children Of The Beast qui me rappelle le début du Rock Bottom de Kiss). L’auditeur a aussi droit à une reprise des Beatles, groupe que je n’aime pas mais j’adore cette chanson, Helter Skelter. Elle provient du fameux double album blanc de 1968, le White album (le Devil’s White Album, d’après nos amis du lobby anti-rock, parce qu’il est supposé contenir des messages masqués inversés démoniaques). Helter Skelter passe pour être l’un des premiers titres de hard rock de l’histoire. Repris à la sauce Mötley, il ne semble absolument pas déplacé sur Shout At The Devil et s’intègre parfaitement à l’ensemble avec sa montée en puissance et son refrain décontracté. C’est du hard juvénile qui dégage une authentique fraîcheur adolescente.
Citons aussi Too Young To Fall In Love qui nous renvoie au côté plus pop de l’album précédent Too Fast For Love. Oui, c’est un morceau quasi-pop au refrain sympa et entraînant qui vous trotte longtemps dans la tête. Retenons aussi son solo bizarre, assez orientalisant. Et relevons ce qui a tout l’air d’une référence au célèbre Last Child d’Aerosmith (« Just a punk in the street »). Too Young… servit de prétexte à un clip délirant assez proche dans l’esprit des Aventures de Jack Burton de J.Carpenter (sorti plus tard d’ailleurs).
L’album vaut aussi pour ses quelques titres plus franchement hard (à cette époque, Mötley Crüe plaisait aux hardos en général, pas uniquement aux glammers). Citons en vrac Knock’em Dead Kid, assez proche de Looks That Kill, tant au niveau du rythme que des couplets ( excellent quand même), Ten Seconds To Love et son intro spontanée, encore un de ces hymnes accrocheurs, agrémenté d’un très bon solo qui évoque Ace Frehley, Red Hot, du hard eighties bien envoyé, avec son refrain agressif et sa rythmique véloce. Et puis le délicat Bastard, du très bon hard encore, délicieusement vintage, magnifié par un solo plus long que de coutume.
Le dernier titre, Danger, est une splendeur, l’une des plus grandes chansons de Mötley, avec son intro mélodique qui semble annoncer une ballade…Mais tout cela se meuble rapidement. Le crescendo du pré-refrain est mémorable. Quant au refrain, il est génial et dégage un je ne sais quoi de prenant. Peut-être est-ce dû aussi à ce riff magique qui fait son apparition. Il ne reste plus qu’à le reprendre en chœur : «Danger
You’re in danger
When the boys are around
Danger
You’re in danger
And this is my town”
Et là, j’adore lorsque Vince ajoute « This is Hollywood », avec tout ce que ce nom peut suggérer…
A l’arrivée, Mötley n’avait rien d’une arnaque. Il s’agissait au contraire de l’un des groupes les plus magiques de la décennie et de l’histoire du rock. Et Shout At The Devil était l’un des albums de l’année ! Moins pop que Too Fast For Love, bien plus agressif que le très glam Theater Of Pain, plus heavy que le stonien Girls, Girls , Girls, et moins apprêté que la géniale superproduction Dr Feelgood, Shout At The Devil est l’œuvre la plus sincère, la plus spontanée, la plus crue (!) du Crüe, un disque intemporel, qui donne à ses auditeurs l’impression qu’ils ont toujours quinze ans. Un chef-d’œuvre…
Toutes les citations sont tirées d’une interview de Vince Neil publiée dans le numéro 195 de Best (octobre 1984).
La version remasterisée propose les démos des morceaux Shout At The Devil, Looks That Kill et Hotter Than Hell (qui figurera sur l’album Theater Of Pain sous le titre Louder Than Hell). Il y a aussi un inédit plus pop qui aurait très bien pu figurer sur Too Fast For Love : I Will Survive.
